Behind Neon Lights

Video Installation 6‘ 2016

Composed of two parts, “Behind Neon Lights “ combines on the same screen Abdallah Guech’s brothel (Tunis) seen from the inside and the outside: between a sequence shot opened by the ritual of slaughtering a black goat, and a series of still shots from prostitutes rooms.

Video installation (6’) 2016

About « Behind Neon Lights »: Excerpt from the text of Robert Bonamy «Intissar Belaid, rester radical (en douce)» for the periodical « incertains regards »2019

“Behind neon lights est un film de franchissement. Celui, certes, d’une jeune cinéaste tentant une intrusion dans une zone proscrite aux images et aux femmes, puisqu’il s’agit de l’impasse Sidi Abdallah Gueche, réservée à la prostitution contrôlée par les services de l’État tunisien. Mais la radicalité du film ne repose pas sur la mise en avant d’un tour de force, par un excès de volonté. Plutôt sur l’inattendu du regard. Une des deux parties de l’image, la droite, est occupée par le rituel de l’égorgement d’un mouton. Les gestes sont filmés, les visages des hommes situés à l’extérie- ur, visibles à travers la porte de sortie, restent hors cadre. Des voix de femmes sont entendues, en fond sonore, lancinantes. L’écoulement rouge, la flaque de sang dans la pièce aux motifs bleus occupe tout au long du film la partie de droite à l’écran duel, même une fois l’animal enlevé du champ. L’écran de droite propose un trajet. La porte d’entrée dans l’impasse est ouverte et des plans, qui seraient ordinairement des plans de coupes, en ceci qu’ils ne sont motivés par aucune figure principale, se succèdent. Des ruelles, une passante éloignée et de dos, quelques linges. Surtout, une flaque d’eau sale au sol qui reflètent le lieu, une partie des murs et un coin de ciel, dans un remuement propice à l’« estrangement » de la « rédemption de la réalité matérielle » pour reprendre les termes articulés à l’exemple séminal[1] et plusieurs fois reconduit dans Théorie du film de Siegfried Kracauer. Il est remarquable que la visibilité sans interdits, qui passe par un usage quelque peu ironique du terme de rédemption, en ceci que sa pensée est éminemment matérialiste, soit introduite dans le livre de Kracauer par le frémissement de l’image d’une ruelle en apparence banale –caractéristique de l’attrait du penseur allemand, dans cet essai, pour l’anonymat, le fortuit– qui se reflète dans une flaque d’eau sale et se conclue presque par Le Sang des bêtes[2] : « des flaques de sang se répandent au sol tandis que chevaux et vaches sont méthodiquement mis à mort (...).[...] Les reflets des horreurs dans le miroir sont eux-mêmes une fin[3]. » Sans engager une réflexion au sujet de l’hypothèse de Kracauer attribuant à l’écran de cinéma les facultés du bouclier poli d’Athéna, il est remarquable de constater que d’un écran à l’autre, Behind the neon lights ouvre en quelque sorte, sans doute sans que la référence soit voulue ou maîtrisée, le livre de Kracauer simultanément à son début et à sa fin, aux deux extrémités de la « caméra-réalité ».

Le film ne file pas de métaphore ou n’établit aucun raccord sursignifiant entre l’animal sacrifié et les femmes prostituées, figures absentes du film. Différemment, à rebours de ces éventuels écueils, ce sont les intérieurs vides et des objets sans propriétaires qui sont filmées dans une teinte produite par des néons roses qui participent d’un assemblage intrigant de couleurs, mais restent au bord de toute velléité d’interprétation symbolique. Le cinéma naissant de Belaid n’est pas affaire de volonté, qu’elle soit bonne ou mauvaise, mais de puissances issues de la réalité matérielle qui vident les contenus et la contenance des discours trop bien maîtrisés. Behind neon lights est une étude, donc un essai habité par une attitude inquiète, sans certitude apodictique. Contre un cinéma politique qui aurait toujours quelque chose à dire, la cinéaste propose de taire pour montrer, en déliant ses images d’annonces, de promesses ou encore d’opérations discursives. Le cinéma ne professe pas, ne s’approprie rien ; ses images intruses naissent d’opérations qui se gardent d’êtres essentiellement discursives. S’inquiéter, faire : redéfinir l’utile des images filmiques.“

[1]« Le monde d’en haut qui tremblait dans la flaque sale : cette image ne m’a plus jamais quitté. », dans Siegfried Kracauer, Théorie du film. La rédemp- tion de la réalité matérielle, Flammarion, Paris, coll. Bibliothèque des savoirs, 2010 (1960 pour la première édition originale), p. 17.
[2]Le Sang des bêtes, Georges Franju, 1948.[3]Siegfried Kracauer, Idem, p. 430-431.“